Un itinéraire photogénique, plein de courbes, de contre-courbes et d'arrêts spontanés pour contempler les paysages tropicaux luxuriants, nous avait trop souvent retenus et retardé irrémédiablement.
La journée était déjà finie lorsque nous atteignîmes enfin le début du sentier qui menait au cratère du volcan, alors caché derrière une couverture de nuages blancs bas.
Quelques promeneurs sont revenus épuisés de ces hauteurs voilées et se sont livrés à des repas salvateurs au bar situé à côté du parking. D'autres, dans une improvisation évidente, ont essayé de voir s'il était encore temps de monter.
Nous suivons un couple qui utilise des jumelles pour découvrir de quoi étaient faites ces hauteurs. Comme eux, nous avons décidé de reporter l'expédition. On connaissait la terrifiante réputation des vipères martiniquaises. Pourtant, il nous restait à explorer la pente humide où les hautes herbes et les mauvaises herbes restantes avaient englouti tout signe de lave.
Peu de temps après, nous retournons sur la route sinueuse, longeons les larges contreforts de la montagne et signalons les Fort-de-France.
Le matin ramène le soleil de plomb sur la capitale mais aussi le week-end tant désiré. Un orchestre de rue occupe un coin sombre à côté d'un centre commercial atypique et anime la place avec leurs voix de choeur, tambours synchronisés de jambés et autres instruments à percussion.
Nous avons découvert que c'était le San Chènn. Nous ne les avons jamais interrogés mais, par leur nom, nous déduisons que leur motif était la célébration de la culture indigène de l'île et, plus que cela, la libération des esclaves de la longue soumission aux colons français qui, deux semaines plus tard, auraient leurs éphémérides là.
Ludger Cylbaris est né en 1875, près de trois décennies après que le gouverneur Victor Schoelcher a signé l'abolition de l'esclavage sur le territoire. Elle jouissait donc d'une autonomie existentielle impensable il y a encore quelques années.
Mais dans l'un des nombreux jours d'alcoolisme excessif à Saint-Pierre, il s'est impliqué dans un conflit avec un compatriote qu'il a blessé avec un couteau. Il a été condamné à un mois de prison. Vers la fin de la phrase, il s'est échappé.
Capturé à nouveau, il voit sa peine augmentée de huit jours. Paradoxalement, cette aggravation de la peine le sauverait d'une fin tragique et le propulserait au statut de héros excentrique et désorienté de la communauté afro prédominante dans la province française d'outre-mer.
Cela expliquait pourquoi le San Chènn répétait son nom encore et encore, dans le cadre du refrain d'une chanson qui le dépeint et l'immortalise. Cependant, il nous manquait encore la découverte du village dans lequel il avait vécu et l'épisode le plus brûlant de son existence de cobaye du destin.
Nous nous dirigeons vers le nord, presque toujours avec la côte ouest de la mer des Caraïbes en vue et le long d'un littoral raccourci par des pentes abruptes. Saint-Pierre ne tarderait pas.
Le souffle tropical est plus fort que jamais lorsque nous atteignons l'entrée de la ville. Nous ignorons la brise côtière et descendons une pente qu'un signe perdu dans la végétation confirme, nous menant à un semi-promontoire.
Nous n'arrivons qu'à mi-chemin lorsque nous devons interrompre la marche laborieuse de la voiture. Un peloton de dames bavardes en tenue eucharistique blanche descend et bloque la route.
Betty Moustin nous demande si on va au point de vue : « On vient de là. C'est un endroit spécial », nous assure-t-elle, souriante, comme inspirée par une vision.
C'était en mai. Nous avons réalisé qu'ils faisaient partie d'un pèlerinage marial à la ville et qu'ils revenaient de prier sur ce sommet. Nous avons terminé l'ascension. Un dernier sentier en herbe descendant mène à la plate-forme.
De là, la montagne Pelée plus éloignée et la baie remplie par la mer des Caraïbes ont défini une scène inoubliable.
Entre les deux, les maisons rougeâtres et blanches de Saint-Pierre se détachaient, rajeunies, entre le sable gris que le village avait pris d'assaut et la falaise feuillue en face.
La fascination fut instantanée mais prolongée. Nous avons convenu qu'une peinture comme celle-là devait être vue sous un bon jour. Nous avons promis de revenir à temps et sommes redescendus au cœur de la ville.
Des centaines de fidèles circulent autour de la cathédrale et entre le temple et une maison communale qui leur sert repas et rassemblements religieux. Peu de temps après, une messe commence.
L'église est remplie de fidèles venus de toute la Martinique qui combattent la chaleur avec des mouchoirs, éventails et autres rabats pratiques.
Malgré la robe afro verte criarde et le turban jaune vif qui la couronne et la distingue de la foule,
Fedia a aussi son rôle dans l'événement : « pourquoi suis-je si colorée ? Bon… ça n'en a peut-être pas l'air mais je suis chauffeur et j'aime remonter le moral de mes passagers. J'ai amené un bus plein de croyants de Sainte Marie jusqu'ici. Maintenant, j'attends de les reprendre.
Il n'y a que plus de 100 ans en arrière qu'on pouvait trouver un Saint-Pierre aussi exubérant et animé. Lorsque nous visitons les ruines de la cellule qui abritait Cylbaris, nous sommes confrontés à la calamité subie par l'ancienne capitale de la Martinique et au sort réservé au prisonnier.
Au tournant du 1889ème siècle, la Montagne Pelée était considérée comme un volcan en sommeil même si, depuis 1902 et, surtout en avril XNUMX, il y avait une certaine activité de vapeurs de soufre dans le cratère.
Dès la fin du mois, la montagne a imposé plusieurs caprices géologiques. Il a projeté de petits échantillons de cendres, puis de roches, produit des tremblements de terre, fait reculer la mer de 100 mètres, puis revient à la ligne de flottaison normale, parmi plusieurs autres manifestations.
Enfin, au matin du 8 mai, jour de l'Ascension, les habitants ont observé des lueurs au sommet du volcan.
L'opérateur télégraphique a cependant transmis le Fort-de-France un rapport sans aucun développement qui se terminait par «Allez», avec laquelle, à 7h52, il a donné la parole à l'interlocuteur. L'instant d'après, la ligne a été coupée.
L'équipage d'un bateau de réparation télégraphique a été témoin de ce qui s'est passé. Un nuage brûlant noir dense s'est étendu horizontalement à partir de la base du volcan.
Un second, monstrueux, en forme de champignon et composé de poussières, vapeurs, cendres et gaz volcaniques était visible à 100km de là. Plus tard, il a été calculé que la vitesse initiale des deux aurait été de près de 670 km/h. La température à l'intérieur est montée à 1000º.
Saint-Pierre succomba à cet enfer régurgité des profondeurs de la Terre. Des gens qui étaient dans la ville, 28.000, presque tous les habitants, ont péri.
Mais, comme le raconte le thème populaire chanté par les San Chènn, Ludger Cylbaris n'en faisait pas partie.
Protégé par les larges murs de la cellule sans fenêtre qui le retenait, le prisonnier a été secouru trois jours plus tard par un homme du Morne-Rouge qui a entendu ses cris. Il avait subi des brûlures douloureuses sur le corps mais il a résisté.
L'événement a rapidement fait le tour du monde. Ainsi se répandit aussi la renommée de l'heureux Cylbari qui, peu de temps après, serait recruté par le cirque américain Barnum, pour se montrer, lui et ses brûlures, en tournée internationale, comme le seul survivant miraculeux de la catastrophe.
A l'époque, Saint-Pierre était la capitale économique de la Martinique et la Antilles.
Le commerce du sucre attirait des bateaux du monde entier dans sa crique, et le produit de celui-ci a financé l'un des premiers réseaux d'éclairage urbain électrique des Amériques, un trolleybus hippomobile, un théâtre de 800 places, un jardin botanique et un hyperactif Port.
En quelques minutes, l'élégante montagne qui avait longtemps habité la ville la réduisit en décombres et en charbon.
Comme prévu, lorsque l'après-midi commence à se terminer, nous remontons au point de vue et nous nous soumettons à la surveillance hautaine de la statue de Notre Dame du Bon Port, qui a également été renversée et déplacée de son emplacement d'origine par l'éruption et plus tard placé là, haut piédestal comme pour préserver la ville d'une nouvelle hécatombe.
Quelques années après les destructions, des habitants absents et d'autres étrangers ont uni leurs forces pour récupérer les premiers bâtiments. Au fil du temps, la structure urbaine a été effectivement restaurée à l'aspect embelli que l'on peut voir de là.
On voit le soleil se coucher, pressé, sur la mer. Le crépuscule s'installe et l'éclairage urbain gagne en vigueur, renforcé par les traînées lumineuses laissées par les véhicules qui se croisent dans la grille géométrique.
Les résidents et les visiteurs célèbrent la fin d'une autre journée caribéenne accueillante sur les esplanades de la rue côtière et à bord de quelques voiliers au large de la côte. Petit à petit, Saint-Pierre est pris par l'ocre d'un feu ténu qui se reflète dans la baie attenante et contraste avec la superbe noirceur de la montagne Pelée.
L'image fait référence à la tragédie qui l'a presque effacé du XXe siècle, mais même sans l'éclat d'autres temps, le Paris des Caraïbes montre des signes de vie.